Cortex, 2014

texte

texte de Sarah Balcon


PRETTY PICTURE

Il a l’air suspendu entre la vie et la mort dans ce liquide amniotique bleu, cet écrin à la trame grossière, tel un foetus dans un ventre. Figé, immobile, car seule la caméra tourne et se déplace autour de son sujet, objet absorbé par le décor qui l’entoure.

C’est la naissance de ta mort. c’est la dentelle de ta mémoire, l’éponge gonflée de ton cerveau malade, le tissu ajouré de ton coeur transpercé. c’est la vie qui coule et s’écoule dans tes tuyaux, c’est la gravité qui t’attire, c’est tes cellules qui éclatent sans bruit, papier à bulle que l’on craque avec joie entre deux doigts
c’est ta chute dans le vide, dans l’infini low fi . mais tu rebondis sur la pulpe dure d’un morceau de corps non identifié (le coup de pied?) et jaillis à nouveau dans l’univers immense.

(il y a des accrocs dans la pretty picture, dans le ciel bleu, dans la dentelle de tes mémoires)

Tu es à la fois ce vaisseau solitaire qui s’éloigne, à ton rythme tranquille, de plus en plus loin des autres; et ce petit tas de chair sur ton petit morceau de terre. pré carré, et souvenir chéri, carré de terre, pierre polie, des fulgurances rares, clin de lumière dans tes nuits noires, illuminent par à-coups tes tunnels sombres. tu veux que je te raconte mon grand moment? oh oui prend note je t’en prie, que je ne meure pas tout à fait.

Et je tente de comprendre le sens de ma présence ici je vais chercher, rebuts et coquillages et bouts de verre colorés, sur la grève, apportés par la marée à la merci de ses cadeaux jolis et empoisonnés, des bribes de réponse brindille après brindille je fais le nid de mes croyances les évènements me malmènent et mon nid s’envole à tous vents les évènements se gâtent et me consolent, et la peur au ventre à l’idée qu’elle me soit retirée, je jouis quelques instants de cette richesse. je polis ce souvenir ensuite, je le raconte, le transforme, il tourne et tourne dans ma poitrine, et devient brillant comme une pierre révélant tous ses détails, ses couleurs. il fait cette petite musique qui est la mienne, qui m’anime et me fait reconnaitre des autres quand ma planète en croise une autre, s’y arrime pour quelques instants je tinte, je tintinnabule de ce récit, mon récit fondateur, mon mythe.


Photogramétrie, captures d’écrans d’espaces virtuels.
Des habitants ont posé pour des prises de vues 3D, dans un lieu évoquant un souvenir. Le paysage se transforme, se désagrège à la prise de vue. Des morceaux viennent à manquer, à l’image d’une mémoire sélective se focalisant sur l’essentiel.
Réalisé dans le cadre de la résidence-mission mené par le collectif en 2014 en Seine-et-Marne.